Violences commises par le fils majeur du locataire : résiliation du bail
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Les violences commises par le fils majeur de la locataire à l’encontre des employés du bailleur, et réitérées après une première condamnation pénale, constituent des manquements à l’obligation d’usage paisible des lieux justifiant la résiliation du bail, le lieu de commission des violences important peu.
Civ. 3e, 17 déc. 2020, FP-P+B+I, n° 18-24.823
Par la décision rapportée, la Haute juridiction affine les contours de l’obligation de jouissance paisible qu’il incombe au locataire de respecter.
En l’espèce, l’OPH de la métropole de Lyon donne à bail à une locataire un appartement situé à Bron. L’enfant mineur de la locataire vivant à son domicile exerce des violences à l’encontre des agents du bailleur. Ces faits ont donné lieu à une condamnation pénale, à la suite desquels la locataire a été relogée avec son fils dans un appartement situé dans une autre ville. Or, le fils de la locataire, devenu majeur, commet de nouvelles violences pénalement sanctionnées à l’encontre des employés du bailleur à Bron. Le bailleur a assigné la locataire en résiliation du bail pour manquement à l’usage paisible des lieux. Les juges d’appel ont accueilli cette demande. Mais la locataire a contesté cette décision en formant un pourvoi dans lequel elle a soutenu « que la résiliation d’un bail d’habitation pour manquement à l’obligation d’usage paisible des lieux loués ne peut ainsi être prononcée que si est établie l’existence d’un lien entre les troubles constatés et un manquement à l’obligation, pour le preneur, d’user paisiblement de la chose louée et de ses accessoires ».
Mais la Cour de cassation, le 17 décembre 2020, a rejeté le pourvoi formé. Pour la troisième chambre civile « les violences commises à l’encontre des employés du bailleur et réitérées après une première condamnation pénale constituent des manquements à l’obligation d’usage paisible des lieux incombant au preneur et aux personnes vivant sous son toit, et le lieu de commission des violences importe peu dès lors que les victimes sont des agents du bailleur ».
L’obligation d’user paisiblement des locaux loués est l’une des obligations imposées au locataire par l’article 7 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989. En cas de non-respect de son obligation de jouissance paisible, le locataire engage sa responsabilité. Celui-ci est également responsable du fait des personnes qui vivent sous son toit ou qu’il a introduites dans les lieux (C. civ., art. 1735 ; pour des illustrations, v. Civ. 13 déc. 1927, DP 1928. 1. 99, note Dallant ; Soc. 29 mai 1954, D. 1954. 571 ; Civ. 3e, 19 janv. 2000, n° 98-12.697, Loyers et copr. 2000, n° 83, obs. B. Vial-Pedroletti). A cet égard, la circonstance que les personnes qu’il héberge, auteurs du manquement à l’obligation de jouissance paisible, soient majeurs n’est pas exonératoire, sauf à démontrer qu’ils ne résidaient pas dans le logement loué (Civ. 3e, 10 nov. 2009, n° 09-11.027, AJDA 2010. 351 ; D. 2009. 2864, obs. Y. Rouquet ; ibid. 2010. 1168, obs. N. Damas, spéc. 1172 ; AJDI 2010. 452 , obs. N. Damas ; Loyers et copr. 2010, n° 1, obs. Vial-Pedroletti ; 10 févr. 2015, n° 13-27.287, Loyers et copr. 2015, n° 85, obs. B. Vial-Pedroletti).
Dans l’arrêt commenté, les faits reprochés à l’origine du trouble de jouissance ont été commis par le fils majeur de la locataire qui réside avec elle. Cependant, la qualification de l’auteur du trouble de jouissance ne posait aucune difficulté dans cette affaire. La discussion portait sur l’appréciation du manquement à l’obligation de jouissance paisible commis par le fils majeur de la locataire, et plus justement sur le périmètre de l’obligation de jouissance paisible. Les enjeux ne sont pas des moindres puisque l’absence de respect de l’obligation de jouissance paisible peut entraîner une résiliation judiciaire du bail (C. civ., art. 1729), laquelle est subordonnée au pouvoir d’appréciation des juges du fond qui vont déterminer au cas par cas si les faits reprochés au locataire présentent une gravité suffisante pour justifier la sanction (Caen, ch. civ. et com., 21 avr. 2016, n° 14/02526, Loyers et copr. 2016, n° 141, obs. B. Vial-Pedroletti).
En l’espèce, pour les juges d’appel, les violences physiques commises par le fils majeur de la locataire à l’encontre des employés du bailleur et réitérées seulement quelques mois après une première condamnation pénale sont attentatoires au principe d’occupation paisible des lieux qui incombe au locataire et à ceux vivant sous son toit. Dans la solution approuvée par la cour régulatrice, les juges du fond ont mis en exergue la répétition des violences commises par le fils de la locataire afin de caractériser la gravité du trouble de jouissance paisible justifiant la résiliation du bail. Cette motivation des juges s’inscrit dans un courant jurisprudentiel selon lequel des actes même graves n’entraînent pas la résiliation du bail dès lors qu’ils sont demeurés isolés (Civ. 3e, 10 févr. 2015, préc.). A contrario, si les juges constatent la répétition de faits de même nature, le lien contractuel ne sera pas maintenu (Civ. 3e, 9 juill. 2014, n° 13-14.802, D. 2014. 1544 ; ibid. 2015. 1178, obs. N. Damas ; Dalloz actualité, 24 juill. 2014, obs. Y. Rouquet ; B. Vial-Pedroletti, préc. ; 5 mars 2013, n° 12-12.177, AJDI 2013. 443 ).
Néanmoins, la réitération des faits pénalement sanctionnés ne justifie pas à elle seule la résiliation du bail.
En effet, il est de principe jurisprudentiel que la résiliation d’un bail d’habitation pour manquement à l’obligation de jouissance paisible des lieux loués impose que soit établie l’existence d’un lien entre les troubles constatés et le manquement à l’obligation d’user paisiblement des lieux loués (A. Djigo, L’obligation de jouissance paisible doit-elle céder face aux troubles commis par les enfants du preneur ?, Loyers et copr. 2010. Étude 5). La Cour de cassation dans un arrêt en date du 14 octobre 2009 avait refusé d’admettre la résiliation du bail pour des faits commis dans les parties communes d’un immeuble faisant, certes parties du même ensemble immobilier, mais situées à plus d’un kilomètre du lieu du logement loué, ces faits ne pouvaient être rattachés aux conditions d’occupation de l’appartement loué. Ainsi pour les juges, lorsque des troubles sont commis en dehors du périmètre de l’immeuble, la causalité entre les troubles constatés et le manquement à l’obligation de jouissance paisible imputé au locataire venant justifier la résiliation du bail n’est pas caractérisée (Civ. 3e, 14 oct. 2009, n° 08-16.955, D. 2009. 2552, obs. G. Forest ; ibid. 2010. 1168, obs. N. Damas ; AJDI 2010. 316 , obs. V. Zalewski ; 8 nov. 1995, n° 93-10.853, Loyers et copr. 1996, n° 15; RJDA 1995, n° 1339). C’est eu égard à ce principe que dans le présent arrêt, la locataire pour contester la résiliation du bail soutenait dans son pourvoi que l’origine du trouble ne se situait pas dans l’immeuble de résidence. Selon la locataire, le fait que les violences n’aient pas été commises dans l’immeuble ou la commune où ils résident, mais à Bron, aucun trouble n’a pu être commis dans le lieu de résidence. Le bailleur ne pouvait nullement se prévaloir des violences commises en dehors du périmètre de l’immeuble dans lequel se trouvaient les lieux loués pour invoquer un manquement à l’obligation de jouissance paisible.
Pourtant, la Cour de cassation laisse entrevoir une solution différente lorsqu’elle énonce que « le lieu de commission des violences importait peu dès lors que les victimes étaient des agents du bailleur ». Les hauts magistrats approuvent l’appréciation quelque peu extensive des juges d’appel du manquement du locataire à son obligation d’user paisiblement de la chose louée et de ses accessoires. Ils mettent en avant, en sus de la réitération des faits de même nature pénalement sanctionnés, un autre critère important pour apprécier la gravité du manquement à l’obligation de jouissance incombant au locataire : la qualité de la victime des violences, en l’espèce des employés du bailleur.
S’il avait été acquis que « les violences commises par le locataire ou les enfants du locataire hors du périmètre de l’immeuble sont affaires de responsabilité personnelle et échappent au champ contractuel. Qu’elles ne peuvent caractériser aucun manquement du locataire à une obligation contractuelle et ne sauraient ainsi justifier une résiliation judiciaire du bail. » (A. Djigo, préc. ; G. Forest, préc.), pour la Cour de cassation, les violences commises et réitérées par le fils de la locataire dans une autre commune que le lieu de résidence sont en relation avec le contrat de bail du moment que les victimes sont des employés du bailleur. L’obligation de jouissance paisible ne semble pas être circonscrite au lieu de résidence et à ses accessoires mais s’étend au-delà de l’immeuble et de sa zone géographique, à des personnes qui sont les préposés du bailleur. Du reste en ce sens, il avait été jugé que des injures sont susceptibles d’entraîner la résiliation du bail qu’à la condition d’avoir été adressées au bailleur, ce qui n’était pas le cas lorsqu’elles étaient dirigées contre le mandataire du bailleur (Civ. 3e, 17 sept. 2008, n° 07-13.175, AJDI 2009. 126 , obs. V. Zalewski ; Loyers et copr. 2008, n° 244, obs. B. Vial-Pedroletti). En l’espèce, les victimes n’étaient pas des prestataires du bailleur mais des employés du bailleur. Autrement dit, les victimes n’étaient pas des indépendants mandatés pour remplir une mission définie, mais des salariés liés au bailleur par un lien de subordination et qui le représentent auprès des différents locataires. Les juges semblent opérer une extension de la notion de bailleur et étendre cette qualité aux salariés du bailleur qui, en pratique, en sont l’émanation.